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— Camarade Zograffi ! Souvenez-vous : l’homme sanctifie le lieu !

Ils allèrent à la buvette. Et ce fut une controverse calme, quoique passionnée, qui dura deux heures. Adrien, en dépit de la défaite qu’Alloman lui infligeait par périodes et sans conteste, bénissait en lui-même les minutes qu’il vivait dans la société de ce beau spécimen de militant socialiste. Comme toujours, Alloman dirigeait tout naturellement le débat et ne permettait aucune digression, aucun écart de la ligne juste du sujet, avant que celui-ci soit épuisé et la conclusion tirée. Car Adrien avait la mauvaise habitude, dans une discussion polémique, de marcher sur plusieurs chemins à la fois et de tout embrouiller. Il ne le faisait pas intentionnellement. Il déviait malgré lui. Le don oratoire n’était pas son fort. Il n’était clair et maître de son sujet que sur le papier. Alloman le constata et l’excusa, certain de l’honnêteté foncière du jeune homme :

— Faites attention : vous déraillez constamment et vous désarçonnez à tort votre adversaire, qui pourrait vous croire malhonnête. C’est curieux : vos articles sont si lumineux et si logiques !

Ils débattaient le thème éternel de la conscience révolutionnaire du militant socialiste. Adrien disait : indépendance et honnêteté. Alloman plaidait : honnêteté et discipline. Il repoussait l’allégation de Craïoveanu, selon laquelle il était permis à un militant de trahir, après avoir longtemps fait preuve de conséquence devant les principes et, par cela, servi la cause :

— Non. Un traître est un traître. Le parti doit l’éviter ou le démasquer et l’exclure le plus tôt possible, car son long séjour et sa trahison finale occasionnent toujours de grosses déceptions dans l’esprit des masses, qui, si ces défections se multiplient, arrivent à la fin à douter de la solidité de l’enseignement socialiste même. Toutefois il n’est pas moins vrai qu’un Parti qui ne peut pas compter sur la discipline de ses militants tombe dans le chaos et s’effrite.

— Alors, pour être bon militant, on doit anéantir sa personnalité, comme les curés. Il faut être un numéro de série.