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La plupart de ces garçons venaient du fond de quelque province, Olténie ou Moldavie. Bucarest les dévorait promptement, faisant des uns des arrivistes, des autres des chenapans ; et une petite partie seulement était touchée par la flamme de l’idéal. Ceux qui, plapamari ou ouvriers d’autres métiers, renfermaient en eux le grain sacré de l’idéalisme, étaient tôt ou tard attirés par le cénacle libre de l’atelier Craïoveanu-Cristin, dont la réputation était double : celle d’une maison de premier ordre, n’exécutant que des travaux artistiques, et celle d’un foyer socialiste. Les uns y venaient se spécialiser, s’en allaient au bout de peu de temps ou y étaient pris ; les autres n’y cherchaient que la chaleur des idées et de l’amitié, à l’exemple de Mikhaïl et d’Adrien.

Certes les deux amphitryons, accueillant tout ce monde de naufragés, tâchaient d’y recruter le plus possible de membres pour leur parti socialiste, mais ils n’étaient pas moins humains, voire cordiaux, à l’égard des réfractaires comme Adrien, des neutres comme Mikhaïl, et même lorsqu’ils se trouvaient en présence d’un anarchisant qui venait prêcher la discorde et faire des prosélytes. Ils se contentaient de savoir que tous ces idéalistes faméliques étaient, en bloc, des ennemis du capitalisme.

De tous les types qui défilaient le soir dans l’atelier des plapamari, Adrien aimait plus particulièrement un certain Pâcalâ. Nom prédestiné car il est celui du drôle populaire, du farceur qui se joue du monde, mais surtout celui du raseur tragi-comique qui, en toute sincérité, n’arrive à s’entendre avec personne et en souffre lui-même plus que les autres. C’était la dernière signification qui convenait le plus à ce Pâcalâ.

Lui-même plapama, mais ouvrier médiocre. Vieux socialiste. Petit bonhomme. Un ratatiné. Ignorant le rire. Face tourmentée, mobile, fiévreuse. Parlant vite et mal. Gesticulant ridiculement. Les yeux et l’esprit toujours en quête d’un contradicteur. Pâcalâ, autodidacte et philosophe confus, avait, sa vie durant, lu, bouquiné, rongé, dévoré deux fois de suite toute la bibliothèque du Parti. De là, ainsi que de son caractère intègre, avaient résulté son malheur et celui de ses camarades : Pâcalâ avait l’obsession de l’inconséquence socialiste, qu’il tenait à découvrir chez les membres du Parti les plus