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Alors j’en ai eu assez. J’ai demandé ma paye, pour partir. C’était après neuf années de service, sans avoir touché un sou de salaire, et on m’habillait aussi de hardes et on me chaussait de savates éculées. Pour commencer, elle fit la sourde oreille. J’insistai pendant des mois. Nous nous disputâmes. Enfin, un jour, après m’avoir traitée de « souillon » et de « vadrouilleuse » elle me jeta cinq cents francs à la figure ! Bien entendu j’ai crié haut. C’est alors qu’elle et sa fille m’ont battue jusqu’au sang et m’ont chassée… Qu’en dites-vous ?

— Quel est le nom de cette aimable dame ?

— Kivuleanu… Mme Vve Kivuleanu.

— ?…

— N’est-ce pas, par hasard, cette vieille rombière qui écrit dans les journaux et se mêle à tous les meetings, pour réclamer une « Société pour la protection des animaux ? »

— C’est cela. Son appartement est plein de canaris. Elle fabrique même des nids d’oiseaux qu’elle espère qu’on lui achètera un jour pour les accrocher dans les arbres. Elle prétend que les oiseaux des pays civilisés ne pondent que dans de tels nids. Est-il possible que les gens civilisés soient si bêtes ?

— Et si tendres avec les poupées qu’ils « dotent » ?


Mais ces ragots-là n’intéressaient Adrien que dans une faible mesure. Malgré leur côté authentique et humain ; il ne leur accordait qu’un crédit limité. C’est vers les débats idéalistes qu’allait sa passion. Il y trouvait son compte.

Tous les soirs, les braves plapamari accueillaient cordialement aussi bien les camarades sérieux que les petites fripouilles anarchistes et les demi-fous. L’atelier avec son immense lit haut perché, au-dessus duquel travaillaient quatre, cinq, six hommes, déployant leurs belles plapama, s’y prêtait admirablement. À sept heures, chaque ouvrier pliait sa couverture et la jetait sur une corde tendue près du plafond. Le vaste lit de planches recouvertes d’un tissu restait libre. On faisait venir du thé, du pain, du fromage ; car, les ouvriers, étant presque tous célibataires, aimaient bien s’attarder là jusque vers le milieu de la nuit, goûter à quelque chose et assister ou participer aux discussions, qui étaient instructives ou cocasses.