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d’hui inaccessibles au travailleur. Nous augmenterons la capacité de consommation de la classe ouvrière en uniformisant les conditions d’existence. Par cela même, le chômage aura disparu. On ne produira que selon la demande. Nous accorderons sans inconvénient le rythme de la production à celui de la consommation. Plus de stocks qui pourrissent, au beau milieu d’une privation quasi-universelle. Plus de guerres pour les débouchés. La machine tordra le cou au capitalisme et aidera à édifier l’ordre communiste.

Ici Adrien se séparait de presque tout le monde. Au risque de passer pour un primitif, il avouait sa haine de la technique poussée à outrance. On l’accusait de tolstoïsme rétrograde. Il répliquait :

— Non. Je ne dis pas qu’il faut retourner à l’alchimie ou à l’éclairage au suif. Je ne suis pas contre le chemin de fer, le tram électrique, le téléphone et toutes les sciences qui améliorent la vie humaine, en supprimant la peine, la souffrance, la barbarie. Mais j’ai horreur de toute technique qui fait de l’homme une autre machine, un simple outil qui n’a pas besoin de penser ni le droit de s’ennuyer. Et c’est ce qui arrive avec la division mécanique du travail. Une chaussure, un vêtement, une chemise ne sont plus exécutés, chaque pièce entièrement par le même homme, mais par trente. Ainsi les métiers disparaissent et avec eux le goût du travail. L’ouvrier, réduit au rôle de surveillant, n’accomplit plus que des gestes, quelques gestes dépourvus de signification et abrutissants. L’initiative, le talent, l’intérêt sont balayés. Les heures deviennent longues comme des siècles. Sous la poussée vertigineuse de la machine, le cerveau de l’homme se pétrifie, meurt. L’humanité mécanique sera libre dans l’imbécilité parfaite. L’homme ne travaillant que cinq ou deux heures par jour sera plus stupide que celui qui en met aujourd’hui douze et quatorze dans l’artisanat. Non. Je suis une créature qui pense et qui est sensible à ce que font ses mains. Je veux être intéressé, absorbé, accaparé par mon travail, en écartant bien entendu l’exploitation de ma personne. J’ai des préférences. Je veux aimer mon métier. Je suis incapable d’exécuter, proprement, n’importe quoi.

Puis le progrès technique est immoral. Il camelote tout.