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Il était vêtu d’un complet de velours noir, veston-tunique boutonné jusqu’au col, cravate rouge écarlate, chapeau mou en beau feutre, grosse matraque à la main. Grand, maigre comme un clou et vif comme le mercure, ses premiers mots furent pour hurler :

— Encore sans lumière ! Encore rester dans le noir ! Vous m’embêtez avec vos manies. Je n’aime pas ça, Monsieur Léonard, je vous l’ai dit mille fois ! Allume la lampe, Nitza ! On dirait que nous sommes des faux monnayeurs.

— Bo, bo, bo ? fit enfin M. Léonard, levant haut les mains et assurant ainsi Adrien qu’il n’était pas qu’un mort qui se nourrit de pain sec.

Cristin jeta sur le secrétaire une lourde serviette qu’il portait sous le bras et vint serrer la main d’Adrien la broyant presque, ainsi qu’il avait la mauvaise habitude de faire avec tout le monde. Adrien cria de douleur. Cristin le regardait méchamment, roulant des yeux de fou, puis éclata :

— Tu es là, salaud ? Je vais…

Mais Craïoveanu, y allant de tout son registre de basse, l’arrêta net, avec un seul :

— Ho ! qui faillit éteindre la lampe et fit trembler les carreaux.

Mikhaïl craignant une algarade, se leva :

— Mes amis, moi, j’ai faim.

— Moi aussi, dit Adrien.

— Où allez-vous dîner ? demanda Craïoveanu, qui était célibataire. Je vous accompagne.

— Si vous m’attendez une minute, dit Cristin, le temps de dire deux mots à M. Léonard, je viens moi aussi.

— À une condition ! dit Mikhaïl. C’est de ne pas te donner en spectacle, au restaurant. Ici, empoignez-vous par les cheveux, si cela vous chante, ça m’est égal. Mais en public, pas de tapage ! Tout au moins en ma présence. N’ai-je pas raison, nénéa Toma ?

— Oui-i-i, sale bourgeois, tu as raison !

La lampe à pied qu’on avait allumée et posée sur le secrétaire n’augmenta pas énormément la lumière qui régnait déjà grâce au réverbère. Toutefois elle aida Adrien à pousser plus loin sa reconnaissance du milieu où il se trouvait depuis