Page:Europe (revue mensuelle), n° 122, 02-1933.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je voudrais savoir ce que tu penses, toi, à ce sujet dit Adrien.

Craïoveanu rit et regarda le jeune homme dans le blanc des yeux. Il semblait vouloir pénétrer dans le fond de la conscience d’Adrien qui, le comprenant, mit sur son visage toute la vérité de son âme pure. L’autre en fut impressionné et cessa de rire. Il dit :

— Je te défends tant que je peux…

— Laisse ça ! interrompit Adrien. Tu fais bien de me défendre, mais il m’importe plus de connaître ta pensée nette sur cette question : me crois-tu un homme honnête ou une fripouille ? Là !

— Je te crois parfaitement honnête…

— Eh bien, cela me suffit ! Quand à Cristin, il peut battre la campagne tant qu’il voudra.

Le vieux socialiste secoua la tête, la mine grave :

— Cela peut te suffire, à toi. Cela ne suffit pas aux galériens du mouvement révolutionnaire qui reprend et dont je suis. Le problème n’est pas aussi simple que tu le supposes. Et ici, je ne me rapporte pas à ce que radote Cristin. Je te dis ma pensée, que tu veux connaître. La voici : tu pourrais être l’homme le plus honnête du monde, et faire, cependant, œuvre de traître. Et inversement : tu pourrais être une fripouille en germe, et faire œuvre de parfait socialiste. Car tout le problème se réduit à une question d’éducation des masses. Comprends-tu ?

— Non je ne comprends pas.

— Je vais t’expliquer. Dans un mouvement révolutionnaire, l’important n’est pas de savoir lequel des propagandistes influents actuels restera honnête jusqu’à la fin de ses jours, et lequel trahira dans cinq, dix ou vingt ans. Non. Cela nous est presque indifférent. La destinée est libre de cacher en toi un filou et de nous le révéler un jour. Si, jusqu’à ce jour-là, tu sers la classe ouvrière en aidant à sa parfaite éducation socialiste, tu auras bien mérité de la patrie internationale de demain. Mais si au contraire tu ne fais dans ta propagande que créer de la confusion dans l’esprit des masses, tu aurais beau vieillir et mourir honnête homme, tu n’en serais pas moins un criminel. Bien mieux, plus tu seras honnête et doué, et plus