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— Pourquoi pas ? Redoutez-vous votre patron, par hasard ? Voilà qui m’amuserait !

Des chuchotements, puis le silence, mirent un point à la conversation.


Cette petite diversion à l’ennuyeux mutisme auquel le condamnait malicieusement Mikhaïl dégela Adrien. Il se sentit plus à son aise, plus disposé à attendre la suite de ce commencement d’aventure imprégné de mystère. Il n’aimait pas les mystères. Il voulait partout et tout de suite, voir clair. Et, justement, Mikhaïl ne lui avait rien raconté sur ce « Bureau » glacial, au propre et au figuré, où deux hommes se promenaient trop, où le troisième se tenait trop immobile, et tous trois se taisaient d’une façon insolite. Interrogé, entraîné aussitôt dans n’importe quelle banale conversation de circonstance, il n’aurait peut-être rien remarqué, tandis que, débarqué là, dans cette atmosphère inamicale, presque hostile, il se sentait dépaysé dans son propre pays. Et pourquoi n’allumait-on pas une lampe ? Probablement par avarice. Ou, peut-être régnait-il une telle misère dans ce bureau de placement ? Adrien en était presque certain.

En allant parler avec les plapamari et en regagnant sa place, il avait eu la possibilité d’examiner de plus près et dans une meilleure lumière les trois personnages dont il ne connaissait encore que les noms. Ils avaient tous des mines souffreteuses et des habits fripés.

Adrien demanda à Mikhaïl, en grec et tout bas :

— Ne se nourrit-on, ici, que de pain sec ?

Mikhaïl porta un index à ses lèvres et lui répondit dans la même langue :

— Ce n’est pas poli de parler un dialecte que les assistants ignorent.

Bon. Mikhaïl le faisait donc exprès. Il adorait les mystères et s’en divertissait.

Heureusement, la plapamaria ayant fermé, Craïoveanu vint serrer la main d’Adrien. Il serra d’abord celle de M. Léonard, une main affreusement longue, blanche, morte, que ce dernier lui tendit sans articuler un mot. Adrien n’aurait su