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En entrant, Mikhaïl s’était exclamé, sur un ton ironiquement joyeux et d’un trait :

— Bonsoir, messieurs, et voilà notre ami Adrien Zograffi.

L’homme du secrétaire ne répondit rien. Il avait la bouche pleine et se contenta de poser sur Adrien deux yeux fortement écarquillés. Celui dont le dos était voûté, sans interrompre sa promenade, répondit « bonsoir » d’une voix chantante.

Ce ne fut que le jeune qui vint au devant des deux amis et serra la main d’Adrien, se présentant :

— Nitza Petresco.

Sa poignée de main était chaude. Son regard, intelligent, droit. Il reprit aussitôt sa promenade. Un instant après, il s’arrêta devant les deux femmes et prononça avec une fermeté dépitée :

— Voyons, qu’est-ce qu’on peut bien faire pour vous ? C’est que votre cas est un peu spécial : vous voulez être placées dans la même maison. Ça ne se rencontre pas à tout moment. Tenez : je pourrais, au besoin, vous envoyer en province. Y allez-vous ?

No que diable li proveinké !

— Alors… nous n’avons rien pour vous.

C’étaient des Hongroises, parlant à peine le roumain. Elles se levèrent et partirent.

Le bureau fut pendant un long moment, plongé dans le silence. Adrien se tenait coi, à côté de Mikhaïl, dont le mutisme parut au nouveau venu assez incompréhensible et même railleur. Il trouvait que son ami eut dû parler, dire quelque chose, casser la glace. Il avait envie de sortir.

Mais, dans la clarté spectrale de la pièce. Adrien surprit des mouvements insolites chez l’homme assis devant le secrétaire. Un gros tiroir du meuble était ouvert en permanence et l’homme y avait les deux bras enfouis jusqu’au coude, n’arrêtant pas de tripoter quelque chose, discrètement. De temps en temps, une main se levait et alimentait la bouche d’une nourriture qu’Adrien ne pouvait pas identifier. Mais, de toute évidence, l’homme mangeait du pain sec. Bouchée après bouchée. Ce faisant il ne regardait jamais ce que ses mains fabriquaient dans le tiroir, à sa droite, du côté caché à Adrien. Il fixait la porte, le réverbère de la rue, se tenant raide comme un manne-