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serviteurs étant considérés presque comme des malfaiteurs. Peux-tu exercer un semblable métier ?

— Très bien.

— Cependant, tu disais craindre la Sibérie.

— Justement, ainsi je la craindrai moins. Je serai comme l’écrevisse qui courait accrochée à la queue du renard. Mais voilà que tu me fais à nouveau parler de choses que je n’aime pas. Allons, plutôt, filons ! Il fait nuit.

Avant de quitter le bistrot, ils réalisèrent la caisse commune. Mikhaïl compta le tout, après avoir réglé les consommations. Le « fonds » s’élevait à 53 francs. Il y avait de quoi vivre chichement une quinzaine de jours.

— Tu m’as tout donné ? demanda le caissier.

— Tout ! clama Adrien, mais il riait et Mikhaïl comprit que, conformément à une vieille habitude, il avait quand même gardé un ou deux francs.

Ce n’était pas pour en profiter tout seul. Non, il n’en était pas capable. Mais, aux moments noirs, quand Mikhaïl déclarait que la caisse était vide, Adrien aimait surprendre son ami en tirant du fond d’une poche quelques sous « oubliés ». Aussi, le trésorier ne protestait pas contre ces innocentes roublardises, « inhérentes, disait-il, au caractère tzigane ».

Ils sortirent. Une pluie fine commençait à tomber sur un pavé très sale. Le tram à deux chevaux, quoique archi-« complet », fut assailli par une foule sauvage, égoïste, dépourvue de toute pitié à l’égard des pauvres bêtes dont les corps fumaient. Le conducteur protestait inutilement. Il faillit même recevoir une claque d’un « monsieur » qui s’accrocha sur le tampon et que le malheureux employé pria timidement de descendre.

Les deux amis attendirent le tram suivant. Ce fut la même histoire, car c’était l’heure de l’arrivée de plusieurs trains. La pluie devenait toujours plus dense.

— Payons-nous le luxe d’une voiture, décida Mikhaïl. Tant pis pour le franc. Il pleut. Et puis avec ta valise il nous sera impossible de faire comme tout le monde.

Ils prirent une voiture.

Les rues étaient bondées de passants et de vendeurs ambulants mouillés comme des rats. Un Olténien, quoique