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— Eh bien, pour un socialiste tu es propre ! conclut Mikhaïl. Du reste, Cristin m’en a parlé.

— Cristin ?

— Oui, Cristin. Qui me déteste. Et qui te déteste. Moi, parce que je ne suis pas socialiste. Toi, pour ta façon de l’être. Il se donne maintenant des airs de coryphée socialiste, fait du tapage, se démène. Mais il est bon garçon, bon cœur. Il était furieux surtout pour ta collaboration à Dimineatsa. Il dit que tu déroutes les ouvriers, leur faisant confondre le socialisme avec la « sale démocratie bourgeoise ». Je ne trouve pas. J’ai lu toute la série de tes articles sur le conflit des débardeurs de Braïla et je crois que tu ferais un bon journaliste. On parle de toi ici avec estime. Tu as le vent en poupe. Je te conseille de persister. Mais tu n’en feras rien. Tu es trop changeant, trop bohème, même et surtout quand il s’agit de soigner tes intérêts. Dommage. Ton style m’a épaté.

Adrien but ces compliments avec avidité, mais il tâcha de cacher son plaisir et fit diversion :

— Tu fréquentes donc Cristin ?

— Mais j’habite chez lui… et même j’y travaille, si on peut appeler ça du travail.

— Tu travailles chez Cristin ! Comment ça ? Il est matelassier !

— Oui, il est matelassier et aussi, depuis un mois, co-patron d’un bureau de placement.

Adrien se mit à hurler :

— Qu’est-ce que tu me racontes là ? Cristin, le socialiste, patron d’un bureau de placement ! Mais ces bureaux-là sont des nids de mouchards, les antichambres de notre Sigourantsa !

— Le sien ne l’est pas, il faut dire la vérité. Tous ses « agents » sont des gens honnêtes, de pauvres épaves comme moi et toi. Tu t’en convaincras toi-même, car c’est là que tu coucheras, toi aussi. Je n’ai point de chambre. Et c’est très intéressant, ce bureau de placement. Je m’y amuse au possible. Parfois, même je m’y instruis.

Le jeune homme était perplexe :

— N’empêche, fit-il, dégoûté. Un agent qui place des domestiques se frotte trop à notre Okhrana, Il est tenu, nos