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comme un chien, je me rends à ce dernier. Par conséquent il n’y aura qu’une séparation de quelques mois. Mais il doit y avoir une séparation pendant laquelle tu auras tout le loisir de faire ton examen de conscience et, peut-être, de te rendre compte que l’amitié n’est pas un torchon dont tu puisses nettoyer tes bottes. Maintenant, voici ma main : je te promets de venir te retrouver, si je ne suis pas mort. De toute façon, j’étais à moitié décidé à entreprendre ce voyage en Mandchourie, afin de voir ce que c’est qu’une guerre entre le gros imbécile de Russe et le tenace Japonais, cet Allemand de l’Extrême-Orient. Et s’il arrive qu’à mon tour je te retrouve marié et assagi, j’en serai heureux pour ta bonne mère.

Adrien avait pris la main que Mikhaïl lui tendait, mais ses mâchoires continuaient à rester vissées. Il était hébété, ahuri. Il ne put articuler un seul mot. Il n’eut même pas un sourire quand, de plus en plus touché, Mikhaïl lui prit la main et lui fit une caresse :

— Comme c’est dommage ! Un si bon cœur, tant de sincérité et si peu de raison ! Tu ne seras jamais heureux, mon pauvre Adrien !

Il le serra violemment dans ses bras et monta dans le train qui s’était mis en branle.

— Au revoir, hé ! Dis-moi donc au revoir !

Rien. Seulement deux yeux d’aimable bête qui regardaient le fuyard.


Presque le même regard fixait maintenant Mikhaïl, quand celui-ci eut demandé :

— Eh bien, on va faire encore bourse commune ?

— Comme tu veux, répondit Adrien. Et il pensa à ce que lui avaient coûté la bourse commune et son propre manque de caractère.

Ils rirent quand même de bon cœur.

— Moi, je possède trente francs environ, dit Mikhaïl. J’en avais deux cents il y a un mois, quand je suis arrivé à Bucarest, mais, ne t’y trouvant pas, j’ai eu le cafard et je me suis amusé un peu.

— Tu es encore plus riche que moi. Comment as-tu pu te procurer l’argent pour le voyage en Mandchourie et même