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LE BUREAU DE PLACEMENT

Cet ouvrage — que j’ai arraché, ligne par ligne, aux griffes d’une tuberculose parvenue à son dernier degré — je le dédie (hommage au pauvre corps humain qui lutte héroïquement avec cette impitoyable maladie) à tous les tuberculeux de la terre, qu’ils soient de braves gens ou des canailles.
P. I.


I



Le train omnibus déposa Adrien à Bucarest un soir d’avril 1904. C’était un train de pauvres, composé uniquement de troisièmes et de wagons de marchandises. Depuis Braïla, il avait mis plus de huit heures à faire les deux cent trente kilomètres environ qui séparent cette ville de Bucarest, traversant une interminable plaine noirâtre et semblant ne plus vouloir repartir après chaque arrêt dans les haltes solitaires de la steppe du Baragan. Pauvre train. Adrien, passant près de la locomotive ahanante, suintante, toute rafistolée, lui jeta un regard de commisération :

« Ces machines, pensa-t-il, on dirait qu’elles ont une âme. Lorsqu’on les fatigue trop, elles gémissent comme des êtres animés. »

Il se serait complu à poursuivre cette idée de la machine — bête de trait, mais, dans la bousculade de la sortie, le visage tourmenté d’une paysanne lui rappela sa mère et il s’attrista aussitôt. Encore une fois elle l’avait gourmandé et s’était opposée à son départ. Il avait passé outre comme de coutume, néanmoins les paroles de la mère l’agaçaient :

— Tu pars, tu reviens… Tu pars vêtu, tu rentres déguenillé. Combien de temps cela va durer ? Tu as vingt ans et point de profession définie. Tu fais tous les métiers, mais aucun convenablement. Autant dire, tu ne fais rien, quoi ! Vagabond !