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— J’emmerde son « hémisphère » ! dit Nitza, sans regarder l’homme.

— Eh bien, Méphistophélès, dit Mikhaïl, tu es en retard ce soir !

— Très ! C’est à cause des « flics ». Ils m’ont encore conduit au poste aujourd’hui pour avoir marqué « ma-dri-i-id » ! au réverbère placé devant le palais du prince Cantacuzène. Et si ça me plaît, le réverbère du Nabab ? La Constitution ne garantit-elle pas aux citoyens l’exercice de toutes les libertés inoffensives ? Je suis dans mon droit, pas ? Seulement, voilà ; avec le chahut qu’ils ont fait, j’ai perdu mon temps. Pour finir le tour de la terre, je dois encore marquer, avant d’aller au lit, San-Francisco, Chicago, New-York et enfin Bucarest. Et ces stations sont bien loin l’une de l’autre.

— Fiche-nous la paix ! lui intima Nitza.

L’homme essuya son visage sale, avec une main boueuse. Adrien n’y était toujours pas, ce qui amusait follement Mikhaïl. Le pauvre-fou était défaillant. Son regard lointain lui ennoblissait la figure, malgré sa crasse. Un côté de son pantalon était fendu du genou jusqu’au bas. Les doigts des pieds sortaient hors de ses savates. Adrien compatit avec le malheureux, dont il ne pouvait pas deviner l’âge.

— Dites ! fit le fou, se cabrant : Cristin n’est pas là ?

— Il vient de nous quitter, répondit Mikhaïl.

— Je n’ai pas de chance ! C’est que, depuis hier soir, je n’ai pas mis un morceau de pain dans ma bouche.

Mikhaïl lui offrit vingt centimes :

— Voilà pour du pain ; et laisse au diable pour aujourd’hui les autres villes de ton tour du monde.

— Jamais ! s’écria l’homme et aussitôt il se mit à courir, sans plus prendre l’argent.

Adrien le rattrapa en quelques bonds, mais l’autre poussa des hurlements épouvantables de bête égorgée. Mikhaïl les rejoignit :

— Lâche-le ! C’est inutile : tu ne lui feras plus accepter les sous en ce moment. Mais il reviendra dans notre « hémisphère » dès qu’il aura fini sa besogne. N’est-ce pas, Méphistophélès ?

— Naturellement.