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— Quelle vie, quelle vie ! se lamentait Nitza. Vraiment, la société humaine mérite d’être incendiée sur le champ !

— L’ordre bourgeois, tu veux dire, corrigea Cristin.

— Je n’en sais rien !

— Mais la faute est au capitalisme.

— Je n’en sais rien ! Je sais que même notre frère l’ouvrier, lorsqu’il peut devenir bourgeois et capitaliste, exploite son prochain, l’écrase comme s’il n’avait jamais souffert. Voilà ce qu’il faut regarder. Adrien a raison : le cœur de l’homme. Il ne suffit pas d’être un révolté quand on est opprimé, et puis, dès que les circonstances vous le permettent, d’oublier le passé et de devenir à son tour un oppresseur.

— Justement, Nitza, justement, il faut supprimer ces circonstances, ces conditions sociales qui permettent à quiconque de devenir un exploiteur de l’homme. C’est ce que fera le socialisme.

— Le diable sait ce que fera votre socialisme ! En Allemagne, où il est tout puissant, il n’a fait jusqu’ici que de nombreux fonctionnaires, encore des fonctionnaires qui vivent et s’engraissent sur le dos des misérables. Ce sera toujours ainsi !

— Tu vois, nénéa Toma ? s’écria Cristin. Voilà l’influence de ce cher Adrien ! Il ne sème que le désarroi, le pessimisme !

Mais nénéa Toma était déjà dehors. Il haussa les épaules :

— Bonne nuit ! À demain !

Craïoveanu et Cristin s’en allèrent tous deux du côté de la place Saint-Georges. Les quatre autres s’arrêtèrent un instant pour causer devant l’entrée du « Bureau ». Il faisait très beau, quoique un peu frais. Des couples juifs, avides de printemps et de promenade, passaient, bras dessus, bras dessous conversant amicalement des derniers livres lus, du parfum des acacias trop tôt fleuris, de la « chance colossale » du collecteur de la loterie d’État Schroeder et le plus souvent se moquant à grands éclats de rire de la nouvelle jupe, ridiculement étroite, qui faisait tomber les femmes lorsqu’elles descendaient du tramway.

Macovei dit qu’il voulait gagner son plumard :

— Je crois bien que c’est mon tour ce soir de faire la femme de ménage ? demanda-t-il à Nitza.