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de sa mère ? Ti-i-i !… Écoutez-moi ça : Daraverra ! Dieu, que c’est succulent !

Et il reprit sa promenade, dans le rire général. Même M. Léonard, voyant Adrien surpris de ce franc étalage d’obscénité humoristique en contraste frappant avec l’atmosphère plutôt triste du milieu, esquissa une ombre de sourire qui éclaira un instant son masque angoissé.

C’était une plaisanterie assez crue. On la goûtait toujours, parce que venant d’un respectable vieil homme, nullement bavard ni gai, et dont l’humour était presque douloureux. Dans le tumulte populacier du « Bureau », constamment bondé de domestiques en quête d’une place, Macovei, avec un tact jamais démenti, savait quand et de qui saisir au vol ce juron fréquemment exprimé, le chantonnait à sa façon et réussissait toujours à rendre confuse quelque pudique personne de l’assistance, qui ignorait ce rite de la maison. Car c’en était un. Et, quelque sinistre que fût l’atmosphère de ce bureau de placement qui ne nourrissait pas son monde, elle était infailliblement balayée par l’aimable vieillard, qui égayait les visages les plus assombris, en commençant par se montrer scandalisé du juron, tout en répétant l’obscénité, pour conclure ensuite à la face de Dieu que celle-ci était « … succulente ».

Afin de mieux édifier le lecteur occidental, il serait utile de noter que, dans le pays roumain et même chez tous les peuples du proche Orient, l’obscénité n’existe pas, en tous cas pas dans les jurons. Elle a été tuée dès l’origine par son fréquent emploi et par la solide santé de ces peuples, chez lesquels le « refoulé » et le « refoulement » sont des choses inconnues. L’obscénité, la vraie, vient de l’Occident, là où a été inventée la jupe qui s’arrête au-dessus des genoux, là où pour la première fois les femmes qui portaient ces jupes se sont permises de croiser les jambes, ou plutôt de les mettre en l’air, à la terrasse des grands cafés, sous les yeux de tous les adolescents « refoulés » par une éducation contraire à la nature humaine.

Voilà l’obscénité qui détraque l’esprit humain. Elle ne pouvait naître que là où l’adolescence est avide de savoir ce qu’une femme cache dans ses jupes et un homme dans son