Page:Europe (revue mensuelle), n° 122, 02-1933.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Adrien vit clairement la cruelle réalité du milieu dont il allait bientôt partager l’existence. C’était un trou noir où des épaves, ainsi que Mikhaïl l’avait dit, égrenaient des jours lamentables. On y couchait sur des bancs, une harde pour toute couverture, et on se nourrissait de pain sec, heureux encore d’en avoir. Non. Il tâcherait d’échapper aux griffes d’une telle vie. Il ira se chercher du travail dans la peinture, son métier, malgré l’aversion qu’il avait du chantier avec ses heures longues comme des siècles, avec ses patrons jamais contents de la somme du travail abattu et même avec ses bagnards intrigants et d’une inconscience qui l’écœurait plus que tout. Oh, oui, l’avenir était sombre ! Il y était habitué, mais, tout de même, pour peu qu’il s’envolât du nid maternel, son vagabondage tant aimé lui faisait aussitôt payer de dures rançons. Sacrée liberté !

Cristin alla remettre à chaque agent les deux francs qui lui revenaient, déridant ainsi des fronts explicablement soucieux, puis il revint à M. Léonard et continua son rapport.

— J’ai aussi de mauvaises nouvelles. Le juge Radulesco ne veut pas de cette bonne. Elle est lente, paraît-il. La femme de chambre du ministre des finances s’en va, et je la comprends. L’épouse de ce ministre est un chameau. Et la vieille grippe-sous de la rue Royale est toujours en voyage, ou elle se cache. Mais c’est la colonelle qui m’a mis hors de moi. Voilà la quatrième cuisinière qu’elle renvoie en moins de trois semaines. Cependant, la dernière que nous lui avons recommandée, c’est Mme Berthe, — qui est un as ! Non, il ne faut plus servir cette putain !

— Pauvre colonelle ! compatit Macovei. Si mignonne, pourtant !

— Mignonne ! hurla Cristin, rouge de colère. Eh bien je règle la daraverra de sa mère ! ponctua-t-il, adoucissant ainsi le plus populaire et le plus obscène des jurons roumains.

Alors Adrien vit Mikhaïl poser un regard moqueur sur Macovei qui, reprenant une farce familière au « Bureau », arrêta sa promenade, redressa son buste et, simulant l’innocence, l’effarement, s’exclama, plein d’humour, les yeux sur Adrien :

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il vient dire ? Régler la Daraverra