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Comme les Français ont l’habitude de parler de l’amour bien qu’ils n’y soient pas plus soumis que les Anglo-saxons, Djibouti possède un quartier réservé. Dans le village indigène d’où les somalis ont défense de sortir après dix heures du soir, s’ouvrent des rues pareilles aux autres, avec ces pauvres huttes de roseaux qu’emporte la moindre crue de la rivière, ces tas d’arêtes de poissons. Elles débordent de l’odeur de la graisse de mouton rance mêlée à des parfums.

On arrive au bout de ces voies, le moteur au ralenti ouvre dans le silence qui écoute de toutes ses oreilles une source d’orage. De toutes les portes des filles sortent en courant comme des folles délivrées des charmes qui les retenaient dans le noir ; elles sautent devant le radiateur en se tenant les mains, elles crient de leurs voix aiguës de chanteuses, elles s’appellent, ce sont de grandes filles très jeunes couvertes de gros bijoux. Leur peau ointe reluit faiblement à la lueur des phares et au reflet rouge de leurs cabanes. Des mains se posent comme une patte d’animal sur votre cou, il faut partir ou se laisser prendre, se plonger dans les vagues d’un amour enfoncé dans l’étuve de la nuit. Ces descentes sont la dernière ressource des hommes perdus : si vous allez dans un pays noir, renoncerez-vous jamais au souvenir de ses petites filles admirables. Et cette perdition vaut mieux que vos sales habitudes vertueuses, vous feriez aussi bien d’être toxicomanes.

Enfin quand il est temps de revenir aux bureaux d’Aden, on pense que ce n’était vraiment pas la peine de les quitter.