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vers la côte des Somalis comme ces chevaux de maraîchers qui conduisent vers les Halles leur maître endormi sur les choux.

Mac Lean dort, raconte des histoires de femmes, boit un coup à toutes les calebasses qui pendent aux agrès autour de sa cabine. À une heure toujours fixe il change de costume blanc, met un casque et des souliers propres : le Halal arrive en vue de Djibouti. On voit au fond de la baie de Tadjoura la côte basse de madrépores. On aperçoit au fond du pays comme sur un tableau de Vinci des étages bleus de montagnes couronnées de nuages, le commencement de l’Abyssinie.

Le navire sur ses ancres, les allèges emplies de balles de cuir arrivent, montées par des somalis brillants et crieurs, ils se mettent à danser autour de la coque un ballet déréglé et sans poids, ils plongent tout nus, attrapent un bout de corde entre les dents, grimpent par la chaîne de l’ancre, laissent sur le pont la trace mouillée de leurs longs pieds. Mac Lean marche déjà sur le môle, échange ses connaissements avec le directeur du comptoir et file vers les filles et les cafés. Le nom du navire signifie : Pur.

Djibouti n’a aucun passé. C’est une sous-préfecture du Midi qui date de quarante ans. Cet âge a suffi pour que le lavis rose des maisons commence à s’écailler, pour que des arbres se mettent à avoir l’air d’arbres dans le jardin du gouverneur.

Même vie qu’à Aden, ornée du débraillé, des coups de gueule de l’Europe du Sud grecque, française, italienne. À Aden il y a des clubs fermés, on ne peut jamais voir par les fenêtres ce qui s’y passe. À Djibouti il y a des cafés, la belote détrône le bridge, les hommes parlent des femmes. Quelle surprise pour un Français d’y retrouver les détails qui font que la France est la France et porte sur le même corps