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sauterie en l’honneur des dix-huit ans de son fils qui a des lunettes d’acier et des boutons comme un élève de l’École normale de Saint-Cloud. On boit du café poivré dans ces tasses de faux Chine que des Arméniens, des Syriens vendent aux escales sur le pont des paquebots d’Extrême-Orient. On est assis sur des canapés recouverts de velours Napoléon III, sur le bord, par respect : c’est un prince régnant. Arrive ce dernier, grand homme noir, l’air rusé et cruel des nervis du vieux port à Marseille. La conversation ne compromet rien, il ne vous dira pas ce qu’il pense des Wahabites et de l’Iman de Sana. Finalement on est autorisé à circuler librement sur le territoire de sir Abdul Karim, Knight Commander of the Bath, qui se retire.

Alors on va voir l’herbe. La route, parallèle au petit chemin de fer de Lahej à Aden, est bordée de mureaux de pierre recouverts de mottes sèches, comme dans le Morbihan, le Westmorland.

On entre dans une région pleine de dattiers, de goyaviers, de papayers, d’orangers, de grenadiers, on traverse des champs de bananiers de Chine hauts comme des enfants de quinze ans. Le sol est un feutre humide fait de plantes grasses. Autour des champs circulent des canaux, entre des berges surélevées comme dans le delta du Nil. L’eau y coule. Dans le fond du tableau, on revoit agrandies les montagnes du Yémen, soudain au fond d’un ravin rouge plus large que le val de Loire coule le fil d’un fleuve à moitié mort.

Quelle joie ! Voilà des prairies avec de l’herbe bourguignonne, des champs aux couleurs piémontaises. Les plus compassés s’étendent sur les graminées, presque tremblants de voir après des semaines de pierres, des paysans, de l’eau douce qu’on écluse, comme dans les Géorgiques. Ils se penchent sur le