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belle que celle-ci : il faut des loisirs pour être un homme. Cette raison se trouve même dans Platon, ce conducteur d’esclaves.

Chaque seconde du temps qu’ils passaient, qui les passait, subissait la pression du marché mondial : partout les hommes la subissent et ne subissent qu’elle, mais après tant de dérivations dans des canaux et des tuyauteries où sa force paraît se dissiper comme une vapeur, qu’ils gardent et communiquent l’illusion de l’indépendance et même de l’autonomie. À Aden, cette pression était immédiatement présente, elle se passait d’intermédiaires, il faut comprendre que la vie était dégagée des faux ornements que lui avaient ajoutés des siècles de civilisation morale décédés, des idées engendrées par le besoin des illusions et les nécessités hypocrites des luttes sociales. Comme ces gens comptaient revenir un jour dans leur pays natal, ils prenaient patience et réservaient l’usage des illusions pour la date de leur retour. Ils étaient sûrs qu’elles ne leur feraient pas défaut, Ils pensaient que le malheur de leur vie n’aurait qu’un temps. Les travailleurs arabes et somalis étaient encore trop dociles pour qu’il fût nécessaire de découvrir et d’inventer des raisons capables de justifier à tous les yeux leur exploitation méthodique. Ils gardaient ces raisons pour les ouvriers de l’Europe. Comme les illusions leur paraissaient inutiles, ils ne leur consacraient pas les quelques instants de répit que pouvaient leur laisser des journées si chargées. Il n’y avait pas d’autre presse que celle des dépêches d’agences ; personne n’avait le courage ni le besoin de lire les journaux européens qui s’entassaient sous bande dans les coins des chambres. Pas de théâtres, pas d’éditeurs, de bibliothèques, si ce n’est les grammaires anglaises, les arithmétiques et les livres pieux des Missions. Pas de discours, pas de philosophies, tout décor était oublié et provisoire-