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ment à un sol capable de productions. Chacune de ces opérations lui prouve aussi son pouvoir. Il ne forme aucune idée naturelle de la fatalité. Ces gestes pourront encore sauver les gens d’Europe.

Mais sur les zones du désert, les hommes n’entretiennent que des rapports mystérieux ou trop simples avec une terre qui ne participe pas aux générations utiles à la vie. Elle est un espace pour des marches uniformes, un objet pour une contemplation monotone. Entre la presqu’île du Sinaï et l’île de Socotora, il faut accepter une nature où les hommes sont véritablement étranges : ils n’y peuvent rien, leurs souhaits, leurs désirs n’ébranlent pas la permanence du désert. Les incidents du climat, les tempêtes de sable, les orages prennent une violence telle qu’elle exclut toute tentative humaine de résistance ou d’utilisation. Par excès de vent, faute de blé, faute de rivières on ne trouve pas de moulins. Sur cette impuissance se fonde la croyance dans la fatalité. Un homme qui peut en même temps aimer une chute d’eau et monter sur elle une turbine ne croira jamais que toutes choses sont écrites.

Alors ces villes perdues communiquent une sorte de maladie de la paresse. Reniées, oubliées, elles se consument, la vie prend les déguisements de la mort. Ne parlez pas aux gens de l’Europe du kief, du nirvana. Ils vous diront de laisser les morts tranquilles.

La Méditerranée finit par reparaître, peuplées de tous les noyés antiques.

Le cercle bouclé, je vis un matin le château d’If, et devant des collines blanches, Notre-Dame de la Garde. J’étais servi : les premiers emblèmes venus à ma rencontre étaient justement les deux objets les plus révoltants de la terre : une église, une prison.

P. NIZAN.