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qui voient la sainteté au bout de leur voyage. Ils possèdent des suites d’enfants à bonnets dorés, des malles de métal peintes à fleurs, des parapluies de coton. Il leur faut du loisir pour attendre le bon plaisir des quarantaines, des bureaux, des douanes, des médecins égyptiens à la politesse sifflante. Assemblés sous les hangars en plein vent des ports ils monnayent des fortunes de patience. Au milieu de Djeddah pleine de pans de murs écroulés, d’amoncellements de gravats et de déblais, du côté du tombeau de la Grand’Mère et de la porte de la Mecque attendent pareillement les caravanes de chameaux tout chargés et les Fords sordides qui datent des premières comédies de Mac Sennett. Tout est espoir dans une torpeur de maladie. Les pèlerins endurent tout, les brutalités, les délais, les vols des entrepreneurs de pèlerinage. Il manque les bidons bleus, les Bernadettes de plâtre, les médailles de la Vierge, les polytechniciens brancardiers, on se croirait à Lourdes.

Des drapeaux pendent comme des peaux le long des hampes, ce sont les pavillons des consulats d’Europe, des pays qui possèdent des sujets musulmans. On pense à une Genève de l’Islam : le drapeau rouge des Soviets accepte pour une fois la compagnie meurtrière de l’Union Jack. Cependant les consuls dorment derrière leurs balcons fermés et ajourés dans tous les coins de cette ville sans glace où le sirop de violettes a la température d’une potion.

Dans le port, entre deux rangées de coraux, le yacht blanc du roi Ibn Séoud achève de rouiller sur une eau de sulfate de cuivre.

Patience, sommeil sont les deux mots de passe de ces terres inconsolables décorées de merveilles sinistres et d’hommes de mauvais augure. Un poème arabe fait dire à l’Arabe : « Je suis le fils de la patience ». Cet Orient sèche au soleil comme les poissons échoués,