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vents, les embarquements et les débarquements de marchandises. Entre Massaouah et Djeddah il faut marcher contre une tempête aveuglante et blanche au milieu des brûlures de l’air remué, la vitesse descend à cinq nœuds, je mange des bananes de Chine, cadeaux d’un marchand arabe de Hodeidah, je sens l’odeur des moutons dans la cale, je suis ivre d’impatience et de fureur, va-t-on lancer jusqu’aux vents contre moi ?

Les villes à moitié enfouies sous les sables, tassées derrière les lignes de madrépores font des signaux d’appel aussitôt annulés. C’est un film horrible de promptitude et d’éclipses qui laisse des souvenirs consumés.

Zeilah est l’un des ports de la côte britannique des Somalis. On dit qu’elle fut aussi un port de la reine de Saba. Elle est bâtie à soixante milles environ vers le sud est de Djibouti.

Ce n’est qu’une bourgade qui dépasse le niveau de la mer comme un radeau : du pont des navires, c’est une sorte de mirage usé : ce n’est point une de ces hautes apparitions de soleil qui dominent la plaine des eaux à la façon de grandes galères couvertes de pavillons, de clochetons, de mâts, mais une image érodée par le sable, les vents et le soleil.

Comme la haute mer est séparée du rivage visible par un de ces hauts fonds insidieux dont on suit les détours sur les instructions nautiques, les bateaux restent au large : les passagers descendent d’abord sur un petit boutre indigène penché sur l’eau même si le vent ne souffle pas, avec ces marins noirs accroupis à l’avant, impatients de toucher la côte de leurs mains. Puis le boutre racle le fond. On est porté dans une chaise par deux grands Somalis qui débrouillent les couloirs du fond comme un écheveau familier. De jeunes garçons courent et la mer jaillit, ils crient dou-