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arènes où toute la vie serait complètement restituée. Profusion de visions, de surprises, d’incidents révélés. Abondance de divinité.

Et je suis retombé sur les gens qui m’avaient effrayé. C’est ce que veut dire l’expression retomber de Charybde en Scylla.

Récifs pour récifs, j’aime mieux la terre.

On pourrait tirer de là une raison sans cesse renaissante d’avoir peur et de faire éternellement le juif errant.

Mais je suis un Français paysan : j’aime les champs, j’aime même un seul champ, je m’en contenterais pour le reste de mes jours pourvu qu’il y passe des voisins, Je ne veux pas connaître l’absence d’espoir des vagabonds : cela aussi j’ai su ce que c’était sur les côtes de la Mer Rouge, de l’Océan Indien, dans le delta du Nil et ailleurs. Il fallut de temps en temps me défendre des voyages en regardant Aden comme mon champ, bien que cet effort fût un défi au bon sens.

Je rejette les navigations et les itinéraires. On a toujours l’impression qu’on est debout au sommet de quelque chose, qu’on a autour de soi de grandes pentes presque verticales au bas desquelles on roulera, au bas desquelles on se perdra. Tout vous est arraché, les escales arrivent, on descend sur des quais, on espère posséder une ville, des habitants. Pensez-vous. Le bateau repart, vous avez, une fois encore, perdu une place humaine, avec une belle occasion de rester tranquille. C’est le vrai voyage, où l’on referme, comme un coupable dans I’Hadès, ses bras étendus sur de la fumée de navires, des brouillards de lumière. Le voyage est une suite de disparitions irréparables.

Renonçons à conquérir des archipels désirables, producteurs de pétrole et d’épices, où la poésie place de très hautes femmes debout dans des robes de couleur, des sœurs d’Ariane ramassent les fruits de mer et