Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/104

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plumes, des taxis, des dents, des lunettes, des habits, des mains, des portes.

Il faut faire quelque chose pour les objets. Quelle source de désespoir et d’ennui dans les objets que nous ne connaissons que trop bien. Ils jouent dans les existences humaines un rôle aussi important que les hommes. Penser à eux est une charité bien ordonnée.

Il arrive à tout le monde de rencontrer sans aucune préméditation des apparitions singulières : à Bourg-la-Reine j’ai vu dans une bonbonne un melon qui avait grandi là, plus merveilleux que les quatre mâts mis en bouteille par les retraités de la marine sur les remparts de Belle Île en Mer. Des opticiens égarés dans le siècle ornent leurs vitrines de verre d’écaille et de métal de signes plus vains que les lentilles poétiques qui répandent une lumière propice à toutes les métamorphoses sur les trottoirs des pharmacies : ce sont des crânes blancs aussi purs que des sphères célestes, atlas démodés de l’esprit qui portent sur le front pour tatouage le nom : phrénologie. L’imagination des photographes décore les cuisses des modèles de dentelles noires et de jarretières ornées de figurines, de devises, d’attributs qui aiguillent tous les cœurs vers les régions les moins habitables de l’amour, aussi bien que les cœurs transpercés de la vierge des Douleurs et les fleurs de sainte Thérèse de Lisieux.

Ces îlots délivrés ont perdu toute communication avec les quantités incalculables de matière façonnée à toutes fins utiles, plus de ponts, plus de manettes, évadés du cercle où s’agite l’esclavage des récipients, des instruments ils ne sauraient servir aux usages consacrés par la sagesse des nations. Leur laideur, leur pauvreté n’empêche pas de les reconnaître pour les membres d’un monde où les objets et leurs maîtres vivent en liberté. Le fait qu’ils sont conçus par des fonctionnaires retraités n’interdit pas de les identifier