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XII

IL n’y avait absolument rien à faire : c’est la phrase la moins favorable aux hommes.

Pas une miette de réalité, pas une démarche qui pût servir à quelque chose. Un ennui inefficace parmi des compagnons habitués par les années à tout ce qui n’existe pas. Des ombres engendrées par toutes sortes de faims : dans les famines où l’on manque de pain, il y a aussi des hallucinations. Alors, faire bon ménage avec l’ennui, mourir de cette mort ? Il n’y a pas d’autre choix : comme on ne veut pas encore mourir — on croirait offenser quelqu’un — on tombe dans l’ennui, on s’installe parmi ces animaux savants qui n’ont plus qu’à s’aimer avec une ardeur hypocrite, qui se trompe vraiment d’adresse.

C’est le moment de la descente dans la Nekuia. Il faut bien passer par toutes les étapes d’Ulysse, qu’on doive revenir ou non dans l’Ithaque natale. Il y a pour tous les hommes une région des pensées vaines, des idées qui n’en sont pas, des vivants qui sont des morts. Lorsque tout ce qui est au monde paraît interdit, la vie intérieure arrive, on n’attendait plus qu’elle. On convoque ses propres ombres qui rabâchent et prophétisent.

Je tombe à la contagion, il y a des microbes de tous les vices. Ce n’est pas assez d’avoir saisi l’essence et les ressorts d’une vie inhumaine pour être protégé contre les maux qu’elle donne. Je vis comme une ombre parmi les autres ombres, tout passe avec des pas de coton au milieu des pierres de la fièvre.

Rien qui se passe, rien qui presse. J’oublie que j’ai su m’apercevoir du temps. Si l’on sent qu’il y a un écoulement du temps, c’est qu’on vit mal mais