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une gazelle derrière leurs talons. Tous les hommes et toutes les femmes inconnus.

D’une très profonde cour intérieure monte l’odeur des peaux grillées au soleil des hauts plateaux abyssins, sur la pierraille des somalilands, dans ces pays dont les noms feraient travailler l’imagination d’un enfant assis sur les bancs d’une école primaire : Berberah, Ogaden, Dunkali, Harrar, Mogadiscio, Addis Abeba.

Et le bruit de beurre fondu des grains de café sur les claies des trieuses.

Dans cette maison de blocs noirs plus puissante entre Suez et le Kenya qu’un ministère d’Europe, il y a le chef, des directeurs, une bande de femmes et d’employés londoniens qui ont le vertige d’être si loin du tramway d’Eléphant and Castle, de leurs banlieues de jardins maigres, de leurs trains électriques roulant entre huit et neuf vers Cannon Street et London bridge. Des gens comme tous les enfants de l’Europe.

Le maître de la firme est un de ces hommes dont le poids empêche ceux qui le connaissent de s’endormir sans arrière-pensée.

Il possède ce que les trois quarts des personnages les mieux doués du sens de l’importance n’ont même pas : des adresses télégraphiques à Bombay, à New-York, à Marseille, à Londres, un code télégraphique privé. Son pavillon rouge et vert flotte sur des bateaux qui transportent ses marchandises. Sa volonté a l’air de peser sur l’avenir des tanneries et du commerce international des gants de peau. Des agents règnent en son nom dans les ports de la Mer Rouge, dans les bourgs de l’Abyssinie, en plein moyen âge. Son nom est un mot de passe aussi loin qu’à Sana du Yémen et qu’aux frontières du Choa. Il parle haut aux sultans indigènes qui vivent dans les oasis de l’intérieur et les états de l’Hadramut.