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un soldat de coloniale envoyé aux sections spéciales du cap Saint-Jacques, qui disait à ses juges empesés de galons : « Je ne peux pas ne pas céder aux crises qui me prennent, à ces fugues qui sont les seules fautes que vous ayez à me reprocher. Il faut que je fuie. C’est la seule explication que je puisse donner de ce que vous appelez mon inconduite habituelle. »

Je suis donc en mer. Je pense ces choses sur la mer pour lui rendre justice, être juste contre elle. Il y a cette absence, ces disparitions, ces éclipses des humains attirés par l’accostage du navire comme des hannetons par une lampe, le soir à la campagne, puis disparus, fondant dans le tremblement de chaleur des quais de corail.

Il y a une grande existence identique et pesante, un monde posé contre nous, sans visage, écrasant les battements du cœur qu’on écoute. La mer et les déserts, l’élément mobile comme le feu et l’élément apparemment immobile, ces êtres sans voix, sans bouche, sans regards, défigurés par les brûlures ne conspirent même pas contre l’homme, elles ne sont pas de son parti, ils ne sont pas ses adversaires : à peine parvient-il à les penser à force de mesures par la géométrie et les calculs qui traitent d’étendues inflexibles : la science est simplement ce qui nous empêche de nous sentir perdus. Mais les images, les désirs, les idées tombent les unes après les autres comme des mouches tuées par les approches de l’hiver.

Liberté ?

Et les marins qui voyagent comme un menuisier scie des grumes ? Il y a encore les marins qui sont humains parfois.

Le capitaine Blair produit des actions réelles quand il faut, il monte sans y penser jusqu’à une espèce de sublime professionnel, sans se dire que le moment est venu d’être sublime. J’ai connu un poète qui avait