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impossible de soutenir le poids des airs aigres doux que joue à longueur de soirée l’opérateur du sans-fil : il tente d’attirer pour ses compagnons de chaîne des fantômes écossais capables de peupler le creux des mers tropicales. Je ne suis pas là pour des séances de spiritisme.

Accroupis à l’arrière, les lascars de l’équipage parlent à voix basse, à toute vitesse, tard dans la nuit.

Les ailes du ventilateur, ce hanneton, chassent comme des feuilles les cartes du mort étalées sur la table, des mains humides de sueur les ramassent parmi les brins de rafia, les taches d’huile, l’urine des moutons débarqués.

On repart au milieu de la grande rue marine de la mer Rouge, loin de cette lourde escale où l’on est déjà envahi par l’état tropical. L’état tropical, une fureur inépuisable et quelquefois un grand dérèglement sexuel.

Le matin du trente-quatrième jour une pyramide violette qui monte la garde se hisse sur le dos de l’Océan Indien. Elle augmente de minute en minute comme les plantes que les fakirs font pousser rien qu’en les regardant. Jeu de pavillons. Le pilote et le docteur arrivent, les machines marchent au ralenti. On découvre des maisons qui prennent peu à peu la taille des terriers où habitent les hommes, une ville à l’ombre de rochers éclatés. L’ancre tombe, une fumée de sable s’épanouit dans la mer.

Je suis arrivé. Il n’y a pas de quoi être fier.

P. NIZAN.

(À suivre).