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à l’étendard du Japon. Dans les champs les meules sont glacées, les tiges d’herbe sont probablement cassantes comme du verre filé.

La mer d’Irlande descendue, l’île de Lundy doublée, l’Europe tombe dans le sillage comme une bouée. Entre Swansea et le cap Saint Vincent, l’Amin coupe les eaux de l’Atlantique dans les coups de vent et les grains de la saison : derrière les vitres de la chambre des cartes on voit les paquets de mer éclater contre la roue du gouvernail, le corps de l’homme de quart, ils font sonner la cloche de timonerie. Au centre des froids humides de la mer, les mouettes soustraites au vent planent au-dessus du pont, pendues à des fils invisibles. La nuit les malles battent les parois de la cabine, la vaisselle accrochée au plafond de l’office perd une tasse, une assiette. Les couchettes craquent.

Dans un mouvement monotone, les promontoires de l’Espagne et du Maroc, les hauts lieux, la ruche guerrière de Gibraltar, Ceuta, Cadix, Algésiras, le mont Ida apparaissent comme des avertissements : on les suit des yeux jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’une ligne de fumée plate sur l’horizon : on les commente longtemps à la table vernie du carré. Trois, quatre navires par jour paraissent peupler ce désert.

Port-Saïd passé avec ses femmes à vendre, ses garçons à acheter, ses juifs syriens, ses eaux jaunes, les paquebots couleur d’abeille de la Peninsular et de la British India, grouillants de coolies, de charbon, le bateau perd de vue le dôme de verre de la Compagnie du Canal, traîne jusqu’à Suez entre les sables, voit le Sinaï, tombe en mer Rouge.

Le thermomètre monte chaque jour, les soleils tournent, les jours, les nuits finissent par se fondre au sein d’une lumière terne et éclatante qui aveugle tous les yeux, l’Amin longe parfois des falaises rouges et jaunes coupées de rares accidents, les repères