Page:Europe, revue mensuelle, No 93, 1930-09-15.djvu/33

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relles comme des crimes, des mariages, des suicides qui sont en tel et tel nombre dans un pays. Les pouvoirs connaissaient assez bien ces désirs pour les utiliser aux fins les plus brutales de leur activité le recrutement des marins et des militaires de carrière, la paix sanglante de leurs expériences coloniales. Les affiches de racolage à la porte des gendarmeries, des casernes, des mairies exploitaient avec une ruse grossière le désir que des paysans, des ouvriers, des employés pouvaient avoir d’échapper à leur vieille peau : elles promettaient avec la certitude de la nourriture et du lit, les plaisirs des tropiques, la facilité des femmes de couleur, séduisaient les cœurs par des artifices enfantins qu’inspirait une connaissance élémentaire mais efficace des tentations humaines.

Comme tout le monde, ces voyageurs avaient vécu de ces années où on est mené par des puissances méthodiques, où on ne comprend goutte à ses passions, à ses mouvements, ses mots, au travail, à l’amour. Tout est commandement militaire, règlement sur la discipline. Comme tout le monde, victimes de diables qui ne laissent pas de marge aux plus simples vagabonds humains. Des voix qui les amollissaient au milieu de leurs tâches, comme le vent du mois de mars, leur ordonnaient d’aller à la rencontre des événements, de les mettre au défi de toujours échapper. Les événements ne venaient pas à domicile, les événements n’étaient pas un service public comme le gaz et l’eau. Il y a des routes, des ports, des gares, d’autres pays que leur chenil : il suffit un jour de ne pas descendre à sa station de métro. Ils savaient cela avec une précision plus ou moins éclairée, mais ils étaient tous de la même bande honteuse qui connaît son état de disette quand elle sort de son travail éternel. À quels jeux employer si tard dans la journée la vacance insolite des mains, la liberté de la promenade des prisonniers ?