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victimes à qui on maintient la tête sous l’eau, se demandaient s’il restait de l’air quelque part : il fallait pourtant les envoyer rejoindre entre deux eaux leurs familles de noyés.

Comme l’on me classait parmi les intellectuels, je n’avais jamais rencontré d’autres êtres que des techniciens sans ressources : des ingénieurs, des avocats, des chartistes, des professeurs. Je ne peux même plus me souvenir de cette pauvreté.

Des hasards scolaires, des conseils prudents m’avaient porté vers l’École Normale et cet exercice officiel qu’on appelle encore philosophie : l’une et l’autre m’inspirèrent bientôt tout le dégoût dont j’étais déjà capable.

Pendant des années, j’ai entendu rue d’Ulm et dans les salles de la Sorbonne des hommes importants qui parlaient au nom de l’Esprit.

C’étaient de ces philosophes qui enseignent la sagesse dans des revues, écrivent des ouvrages de références et de bonnes raisons. Ils entrent dans les corps savants, ils convoquent des congrès pour décider des progrès que l’Esprit a faits dans une année et de ceux qui lui restent à faire. Ils ont des rubans à leurs revers comme de vieux gendarmes retraités. Ils inaugurent des plaques de marbre, sur des maisons natales, sur des maisons mortuaires, à des carrefours hollandais. Ces commémorations leur font voir du pays. Ils vivent presque tous dans les quartiers de l’Ouest de Paris : à Passy, à Auteuil, à Boulogne, quartiers tranquilles, pas de bruits, peu d’hommes, les filles n’y sont pas réglées avec un an de retard. Ce sont les Sages du XVIe arrondissement.

Cependant, ils présentent des idées bien dressées, des théories aux dents limées sur la psychologie, sur la morale, le progrès : ces abstractions montraient déjà la corde au temps de Jules Simon ou de Victor Cousin :