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conséquences pour les fils de banquiers et d’industriels toujours capables de rentrer dans le giron de leur classe, pouvaient entraîner de graves effets pour un petit bourgeois sans fortune et sans appuis. Il dit encore qu’il eût compris que je m’attache au parti socialiste où l’on pouvait faire carrière et qui avait des chances de pouvoir, mais qu’il était absurde de se ranger dans un parti condamné à l’impuissance et qui venait d’être durement battu par quelques opérations de police. Je me taisais. Massart continua sur un ton de songerie :

— Que vas-tu faire de toi si tu n’es pas reçu à l’agrégation ? Ta pauvre mère me dit que tu t’es beaucoup relâché depuis ton échec à Normale et que tu n’as même pas eu le courage d’achever cette année ton diplôme… Elle n’est pas riche, elle ne t’offrira pas le luxe de deux ou trois années d’études supplémentaires… Qu’est-ce qui ne va pas ? Ta politique ? Les filles ?… Oh ! je ne te demande point de confidences. N’offensons jamais la pudeur d’un jeune mâle… Nous reparlerons de tout cela… Mais je voulais te dire… Si tu as de vrais embêtements, Massart est un ami. Tu n’as jamais pensé à l’administration ?…

Je me levai d’un bond, je ne répondis rien, je courus vers la cuisine. Devant l’évier, ma mère essuyait encore les assiettes que la bonne lui passait. Je lui dis d’une voix étranglée, j’étais hors de moi :

— Est-ce toi qui as prié ce salaud de me proposer une place dans sa police ?

— Qu’est-ce qui te prend ? dit-elle. Oui, c’est moi… Et après ? Si tu étais refusé finalement ? Il faut veiller au grain, mon pauvre enfant. Ton pauvre père était bien dans l’administration…

— Ni flic ni marchand de cercueils ! m’écriai-je. J’aimerais mieux crever. Va le dire à ton commissaire.

Je quittai sur le champ la maison et j’allai coucher rue Cujas. Ma mère m’écrit depuis des lettres larmoyantes auxquelles je ne réponds pas.

Je ne sais plus comment je traînai jusqu’à la fin de septembre. Marguerite revint s’installer rue Cujas, je la vis reparaître avec un soulagement qu’elle prit pour le bonheur