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tenait son chapeau à la main et en essuyait le cuir, la bonne lui dit :

— Comment allez-vous, Monsieur Massart ?

— Chaudement, mon petit, répondit le commissaire, chaudement…

J’entrai dans le salon où ma mère brodait ou tricotait toute la journée, Massart me tendit la main et je la pris, elle était moite.

— On dirait que ce garçon a encore grandi, dit-il. Au fait, Marie, il y a des siècles que je n’ai pas vu votre fils.

Nous dînâmes. Nous mangions tous les trois sans ardeur et ma mère envoya la bonne chercher des morceaux de glace dans un café de l’avenue du Roule ; la glace fondait aussitôt, le vin rouge redevenait tiède.

— Il en a fait un plat, aujourd’hui, dit Massart.

Je tressaillis, c’était exactement le genre d’expression qui faisait éclater à la surface de ma mémoire les souvenirs étouffants et bas de mon enfance. Le dîner se termina et nous descendîmes dans le jardin où des hannetons venaient se cogner contre la soie de l’abat-jour. Ma mère rentra dans la maison pour aller aider la bonne. Quand nous fûmes seuls, le commissaire me dit :

— Mon petit Serge, sais-tu que je ne suis pas fâché de te voir ? Je te tutoie toujours, n’est-ce pas, tu ne te formaliseras pas de cette familiarité d’un vieil ami ?… Je t’ai presque vu naître…

Je répondis que non, bien que je fusse contracté de fureur et que j’eusse envie de fuir. Le commissaire fuma un instant en silence.

— Alors, nous donnons dans le communisme, dit-il. Il paraît que nous collaborons à de jeunes revues subversives en compagnie de fils de banquiers ?… Membre du parti communiste ?

Je répondis agressivement que oui et Massart se mit à rire et à parler entre ses dents du mal de la jeunesse. Il me dit qu’il avait connu toutes ces fièvres de croissance et qu’il avait fréquenté dans son adolescence, quand il faisait sa première année de droit, quelques réunions anarchistes. Il ajouta que ces divertissements, qui n’avaient point de grandes