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rée ayant pour objet de renverser le Gouvernement ». L’absurdité de cette accusation faisait toute sa force. En octobre, des inculpations nouvelles parlèrent d’espionnage, parce que L’Humanité avait publié des lettres d’ouvriers des industries de guerre. Presque tous les dirigeants du parti et des syndicats étaient arrêtés, Cachin, Barbusse et Vaillant-Couturier étaient inculpés d’espionnage, Doriot, Marty, Duclos et Thorez de complot. Là-dessus, on eut au début de novembre un ministère Tardieu et tu dois être au fait de la suite des événements.

Je ne t’ai conté ces histoires que parce qu’elles ont profondément retenti en moi. La facilité avec laquelle le Gouvernement et la police avaient brisé l’appareil du parti, l’espèce de désarroi qui régnait dans beaucoup d’organisations où quelques adhérents se faisaient l’écho des bruits répandus par des gens comme Joly et Gélis, les conseillers municipaux démissionnaires, sur la présence des policiers dans le parti, le départ des opportunistes, la pluie des condamnations — tout me persuadait que le parti venait de subir une défaite dont il ne se relèverait pas. J’avais adhéré à un corps promis à la victoire, il me paraissait impossible de m’associer à une défaite. Les gens comme moi ne doivent être capables de fidélité qu’avec les vainqueurs. Je tirais déjà des conséquences politiques de ma variation personnelle, le découragement que j’éprouvais me paraissait soudain susceptible de généralisation…

Une après-midi que je lisais au soleil dans le petit jardin humide du pavillon de Neuilly, au pied d’un immeuble aux volets fermés, ma mère me dit que Massart devait venir dîner et me demanda de rester. Je ne sais pourquoi j’acceptai. Je voyais rarement Massart, mais je savais, avec cette sûreté d’intuition qui survit quelquefois à l’enfance, qu’il avait été, qu’il était peut-être encore le vieil amant de ma mère. Les images que je me formais de cette liaison me révoltaient comme des nourritures moisies. Mais Massart m’était presque complètement indifférent, je n’avais pour lui qu’un mépris abstrait lorsque je me disais qu’il était de la police…

Il faisait si chaud ce soir-là que je n’eus sans doute pas le courage de sortir pour éviter la rencontre. Massart sonna vers huit heures. Je le vis entrer dans l’antichambre, il