Page:Europe, revue mensuelle, No 192, 1938-12-15.djvu/47

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où n’intervenaient que des intensités, des vitesses, des accents différents, mais non des altitudes sociales…

J’ai respiré quelques mois, j’étais allégé, j’étais uni à vous par une complicité. Tout cessa brusquement d’être à mes yeux une occasion d’échec. Vos goûts, vos vêtements, vos réussites, vos attitudes devenaient plutôt des fautes que des avantages, vous deviez être prêts à les sacrifier à une fidélité nouvelle à laquelle vous ne pouviez pas ne point m’admettre.

Ce répit ne dura pas : je me vis bientôt renaître à moi-même, je cessai de m’oublier. Je devinai qu’à travers la communauté même de nos ambitions, vous me marquiez je ne sais quelles nouvelles frontières. Quand Rosen fonda la revue, vous vous attribuiez les grands papiers, les prophéties, les messages, vous ne me laissiez jamais, comme à Jurien, que vous méprisiez, que les comptes rendus, les notes critiques : je n’étais encore qu’à votre suite, au dessous de vous : il y avait toujours des altitudes. Te rappelles-tu cette époque de l’année, vers Pâques, où Rosen et toi avez sûrement combiné quelque chose dont j’étais exclu : je vous ai surpris plus d’une fois à vous taire, à parler du joli temps qu’il faisait quand j’entrais dans votre turne, j’étais donc remis à l’écart, admis seulement à vos demi-secrets, à votre vie ésotérique, exclu de vos mots de passe les plus intimes, de vos connivences les plus profondes ; jamais je ne vous ai détestés comme à ce moment-là : je retombais. C’était comme si je vous avais inspiré un dégoût physique contre quoi vous renonciez vous-même à lutter.

J’eus une idée, qui pouvait peut-être me sauver — (souviens-toi que je n’acceptais pas mon mal, que je voulais obstinément guérir) : j’adhérai au parti.

Je reverrai toujours votre air de perplexité quand je vous annonçai cette nouvelle, c’était vers la fin de mai. L’adhésion au parti avait joué depuis un an un trop grand rôle dans nos conversations et dans ce que vous appeliez nos problèmes pour que ma décision ne vous touchât pas : j’étais le premier de notre groupe à franchir le pas. Vous étiez stupéfaits, humiliés. Vous aviez enfin quelque chose à m’envier, un acte auquel vous n’osiez encore vous résoudre, vous ne me suiviez