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LA CONSPIRATION[1]

XXIII

RÉCIT DE PLUVINAGE


Au milieu de décembre, Laforgue, qui ne se sentait pas gai et qui se préparait à partir en Alsace, reçut rue d’Ulm un paquet de feuillets dactylographiés, qui n’étaient accompagnés d’aucune lettre. Le dernier feuillet portait simplement la signature de Serge. Voici ce qu’avait écrit Pluvinage :

Au fond, si mon père n’avait pas exercé ce métier, peut-être ne se serait-il absolument rien passé…

Mon père était fonctionnaire à la préfecture de la Seine, ça n’a l’air de rien, il se faisait graver des cartes de visite avec son titre de chef de bureau, mais il ne s’occupait pas des choses possibles, de l’éclairage ou des transports ou de la voie publique ou des carrières ; il n’avait pas ces fonctions agrestes et célestes de la conservation des promenades ou de la subdivision spéciale des horloges et des paratonnerres, il n’était même pas chargé de la régie des poêles, rue d’Ulm en face de l’École normale : quand j’avais douze ans, il était devenu chef de bureau des inhumations à la direction des affaires municipales et du contentieux. Dans son bureau, sous les combles de la préfecture, dans l’annexe de la rue Lobau, de sages aquarelles étaient pendues contre la tapisserie jaune vert à bandes vert foncé, c’étaient des vues de cimetières et de chapelles généralement représentées sous un ciel d’automne avec des feuilles mortes dans tous les coins. Comme ces fils d’industriels ou d’ingénieurs qui font leurs premiers

  1. Voir Europe, numéros des 15 septembre, 15 octobre et 15 novembre 1938.