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dans les papiers que notre ami Bernard Rosenthal a laissés les articles qu’il avait achevés et les notes qu’il avait préparées.

Nous pensons que l’hommage funèbre qu’il eût mis au-dessus de tous les autres eût été la publication de ces écrits dans la revue qu’il avait lui-même fondée et qu’il a animée jusqu’au bout.

Nous vous serions profondément reconnaissants de nous permettre d’examiner les textes de votre fils et de consentir à leur publication.

Plusieurs jours s’écoulèrent. Laforgue dit à Bloyé :

— Tu verras qu’ils refuseront. C’est des gens bien. Leur sens de la propriété privée doit s’étendre aux cadavres. Voilà Rosenthal rentré enfin dans le sein des familles, elles n’en lâcheront rien.

— C’est ce qu’on appelle, dit Bloyé, le retour de l’enfant prodigue. D’autre part, je t’ai toujours dit que ta lettre au père était du genre servile. On n’y gagne jamais rien. Tu aurais dû les insulter.

M. Rosenthal répondit enfin à Laforgue qu’il attendrait le lendemain sa visite dans l’appartement de la place Edmond-Rostand. Il n’avait rien dit à sa femme de la lettre des jeunes gens ; c’est qu’il se sentait bizarrement coupable vis-à-vis de son fils et qu’il avait envie de se faire pardonner par son ombre il ne savait quelle patiente et mortelle trahison.

Laforgue vint au rendez-vous qui fut froid, ou plutôt maladroit : cet agent de change et ce jeune homme s’intimidaient terriblement, et allez donc parler de la pluie et du mauvais temps et de cette triste saison qui n’en finira donc pas, ou de la politique qui ne va pas mieux, avec des morts pleins d’amertume entre vous. M. Rosenthal, assis dans un fauteuil, fumait et ne disait rien ; Laforgue ouvrait un à un les tiroirs de Bernard qui étaient pleins de papiers jaunis comme si Rosenthal était mort déjà depuis dix ans ; il lut un peu au hasard des pages et prit des manuscrits sans beaucoup choisir à cause de ce regard du père dans son dos ; dans le dernier tiroir, il trouva deux chemises qui portaient ces titres : Industrie, Armée. C’était fini. Laforgue se redressa, M. Rosenthal se leva et toussa en retenant sa toux :

— Cette pièce est glaciale, dit-il.