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LA CONSPIRATION[1]

XV


Claude repartit le lundi matin à l’aube. C’était le 2 septembre : comme tous les autres jours, il allait faire beau. Bernard, encore couché, entendait le moteur de l’auto qui tournait dans le silence du petit matin, et, au fond de la campagne, dans les fermes, les cris des derniers coqs qui saluaient le grand jour.

— Tout va recommencer, se dit-il. Nous n’en finirons pas.

En bas, le moteur ronfla : Bernard compta machinalement les passages des changements de vitesse. Claude s’éloignait, Bernard se rendormit.

Tout aurait dû recommencer si Bernard avait été capable de retrouver l’ardeur distraite des premiers jours, de ne vivre que pour ses nuits blanches au sommet de La Vicomté, de n’être, au jour le jour, que souvenir et attente de l’ombre. Mais il tombait dans des réflexions sans fin sur l’existence, le destin ; il ne songeait plus qu’à sauver Catherine, à la contraindre à être heureuse selon l’idée qu’il avait du bonheur. C’est ainsi que sont tous les hommes : ils trouvent rarement des femmes qui tolèrent ces bonheurs imposés. Bernard allait tout perdre, s’il pensait déjà à organiser l’avenir, on ne sauve l’amour qu’en l’accueillant les yeux fermés.

Le soir, il rejoignait de nouveau Catherine dans sa chambre : elle l’attendait, étendue sur son lit, elle se disait qu’un soir encore le plaisir allait renaître. Quand Bernard entrait, elle sautait du lit, elle courait l’embrasser, mais il lui disait qu’ils devaient parler. Catherine soupirait, elle s’agenouillait sur son lit ou elle allait s’accouder à la fenêtre, au-dessus

  1. Voir Europe, numéros des 15 septembre et 15 octobre 1938.