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— Mais enfin, Simon, dites-nous s’il y avait quelqu’un derrière vous. De mauvaises influences ? Une femme ?

Simon comprit qu’il pouvait répondre non et qu’il serait cru : l’égalité militaire est une apparence au nom de laquelle on pardonne d’abord à la discipline ses excès, parce qu’on croit qu’on est au moins logé à la même enseigne que tous les autres, mais ces illusions ne résistent pas à trois mois de caserne. Simon sentit au ton de ses officiers que les complicités sociales étaient capables de tenir en échec toutes les lois écrites de l’armée. Il devina qu’ils raisonneraient comme des confesseurs ou comme des lecteurs de romans policiers, et qu’il pouvait sans doute les duper.

Le silence lui semblait un devoir évident : il n’était pas question de trahir Rosenthal. Il ne se trouvait pas sublime, il était toujours au lycée où l’on ne dénonce jamais. Il avait un peu peur qu’on ne découvrît son ancienne amitié avec Bernard et qu’on ne remontât par là à quelque groupe révolutionnaire ; il avait tort de s’inquiéter, l’enquête menée par les moyens militaires n’avait rien donné ; on avait seulement appris qu’il ne se mêlait pas de politique, n’avait pas de relations suspectes, de besoins d’argent. L’adjudant Giudici n’avait rien dit des fréquentations singulières où il avait lui-même engagé Simon. Les renseignements parvenus à la caserne ne parlaient que de ses vertus.

Simon se risqua enfin, en se disant que sa version allait paraître un peu grosse : il expliqua au colonel que sa curiosité des choses militaires était vive et qu’il n’avait pu résister à la tentation de jeter un regard sur les plans qu’il avait pour mission de protéger ; le voisinage de ces documents lui avait suggéré le dessein de composer un roman d’anticipation pour lequel il prenait des notes au moment où le chef de bataillon l’avait surpris ; il était désespéré de cet enfantillage dont il n’avait pas mesuré la portée.

— Mais alors, s’écria le colonel, pourquoi n’avez-vous pas parlé plus tôt ? Votre silence permettait toutes les hypothèses !

Simon qui venait de surprendre le regard que le commandant Sartre avait échangé avec le colonel, se dit que c’était gagné. Cette explication qui eût paru absurde chez un soldat d’une autre origine leur paraissait en effet acceptable.