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cette année-là, écrivit un pneu à Simon pour le prier de venir le voir, comme s’il avait été pressé de riposter aux coups de force de la police. André alla mettre des vêtements civils qu’il avait confiés à Gladys et se rendit avenue Mozart. Il aurait rougi de se montrer en uniforme de coloniale ailleurs qu’entre l’Observatoire et le Jardin des Plantes.

Bernard demanda à Simon ce qu’il devenait et comme il arrive presque toujours que les jeunes gens mentent un peu moins à leurs amis qu’à leurs parents et se vantent volontiers près d’eux de ce qu’ils cacheraient à leur père, Simon le lui dit. Il était entendu depuis des années qu’ils se disaient tout. Ou presque tout.

C’était beaucoup pour un récit, les deux casernes, les adjudants, les filles et l’histoire de Gladys et du taxi du 12e. Ces confidences, faites dans la chambre de Rosenthal en face du Lénine, du Chirico et du Descartes, paraissaient soudain singulières. Bernard s’irrita, il avait des côtés de moraliste et supportait difficilement qu’un de ses amis vécût une existence détendue : il ne mettait rien au-dessus de la plénitude, de la tension et il jugeait qu’un homme doit être inquiet. Il dit enfin à Simon qu’il paraissait ne point se rendre compte de la bassesse de sa vie et que cette indifférence était pire que la délectation même. Simon répondit qu’il s’en rendait assez bien compte mais qu’il s’en moquait :

— Mon seul plaisir consiste à m’abandonner, dit-il. Cette vie militaire m’amollit jusqu’à l’os. Je me sens fondre. Heureusement, j’ai appris à transformer en grandes vacances un peu veules une servitude imbécile dont je ne me serais délivré qu’au prix d’une ruse de tous les instants et d’une présence d’esprit bien fatigante… Cet abandon n’aura qu’un temps.

— Non, dit Rosenthal, qui ne se plaisait qu’à donner des conseils, des avertissements aux gens désemparés ou insouciants, à écrire Mané Thécel Phares sur tous les murs. Non, cette situation ne peut pas durer. Il est grand temps de te raidir. Veux-tu du thé ?

Simon répondit qu’il avait soif et Rosenthal sonna. Une femme de chambre frappa à la porte et entra. Bernard lui donna des ordres avec une politesse embarrassée : peu de