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douches qui servaient de dépôt mortuaire, le capitaine-adjoint au colonel rappelait le temps où un colonel énergique faisait défiler tous ses hommes devant le corps d’un salaud de suicidé exposé sur le fumier des écuries.

Comme il l’avait espéré, à la caserne de Port-Royal, Simon trouva quelques libertés : il régnait dans cette caserne un étonnant désordre nonchalant, entretenu par le va-et-vient des arrivées et des départs coloniaux, qui permettait à bien des prisonniers de fuir ; les détachés, qui, comme Simon, étaient peu connus des hommes de garde, entraient et sortaient du quartier sans qu’on songeât à leur demander des comptes.

Le bureau de la deuxième zone de la Place de Paris était installé au premier étage d’un corps de bâtiment qui donnait sur la rue de Lourcine : c’était un refuge isolé où vivaient deux secrétaires, Simon et un soldat nommé Dietrich, qu’il ne voyait que rarement. Tous les matins, un adjudant venait fumer une cigarette au bureau ; deux ou trois fois par semaine, un chef de bataillon faisait une brève visite aux hommes qu’il commandait et dont il avait oublié les noms, bien qu’il sût vaguement que l’un d’eux avait fait des études et avait été recommandé par le commandement supérieur des troupes coloniales.

L’adjudant Giudici menait, en attendant sa retraite, qui viendrait vite avec les années de campagne et les demi-campagnes en mer entre l’Indochine et Marseille, une existence nourrie d’intrigues compliquées qui s’ordonnaient autour de quelques filles de la rue Pascal et du carrefour des Gobelins.

Simon lui plut, parce qu’il pensait pouvoir se fier davantage à des hommes qui avaient une instruction mystérieuse, et dont les soucis inconnus et le monde civil étaient sans doute trop éloignés des siens pour qu’ils eussent l’idée d’intervenir dangereusement dans ses affaires : il n’imaginait pas qu’un jeune bourgeois pût jamais devenir un rival, un espion.

Simon supporta d’abord avec une extrême impatience l’obligation de se faire le courrier sentimental et l’intermédiaire d’un sous-officier qui n’était à tout prendre qu’un