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ler Simon dans son bureau pour le questionner sur les philosophies de la Chine et de l’Inde, pour lesquelles il se sentait de l’intérêt, et dont Simon, pour ne point décevoir son chef, devait sur le champ inventer les grands noms, les systèmes, le lieutenant-colonel de Lesmaes lui disait :

— Voyez-vous, Simon, vos camarades ne comprennent pas la nécessité des marques extérieures de respect ; l’arrêt à six pas, le salut avant d’adresser la parole à un supérieur leur paraissent ineptes. Il ne faudrait pas prendre les marques extérieures de respect pour des vexations inutiles : il est bien évident que le premier mouvement de l’homme serait de tuer l’officier ; un régiment est chargé d’une énorme quantité de substances explosives, vous disciplinerez ces impulsions par les marques extérieures de respect. Avez-vous jamais vu un animal pris au piège ? Non ? Il ne bouge plus, il sait qu’il n’y a rien à faire. Le garde à vous est un piège, la discipline militaire une politesse pleine de précautions. Il ne s’agit pas de faire la putain devant des hommes. La discipline, c’est être le patron, et donner à ces gens l’idée qu’ils sont foutus sans vous…

— Vous devriez relire Alain, mon colonel, disait Simon, que cette philosophie du commandement accablait.

Il sentait bien que le système finissait par conquérir beaucoup de ses compagnons : c’est le 1er mai qu’il entendit le caporal Palhardy, qui achevait son service avant de regagner sa maréchalerie en Poitou, déclarer :

— Que veux-tu que les ouvriers fassent ? Ils ne sont pas armés comme nous. Et avec le petit père Chiappe… On les habitue au respect…

Simon prenait pour une révolte méthodique contre le système qui engendre les armées modernes sa colère et son anxiété qui étaient vives, mais sans principes : la caserne était simplement un lieu où il ne respirait pas, comme si elle avait été à quatre mille mètres d’altitude, ou sous la terre. Il allait souvent s’accouder au parapet du chemin de ronde, devant la zone fumeuse de Saint-Ouen, en pensant avec désespoir qu’il lui faudrait rentrer le soir dans le bureau où il couchait à côté du drapeau du régiment, et des caisses pleines de trophées de la guerre, de casques, d’étendards