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à Reims, à Nancy, à Bordeaux, à Rouen ou à Lille, lorsque l’époque arriva pour les grandes bourgeoisies provinciales de douter anxieusement de leur avenir. Il semblait que leurs héritiers n’eussent à choisir qu’entre deux tentations : le fils du négociant en vins, à Bordeaux, qui, à la sortie de l’École Normale, va préparer à Athènes des fouilles en Chersonèse ou à Delos n’est peut-être pas moins dévoyé que le fils du notaire, à Rouen, qui comparaît devant les Assises pour un vol d’auto, une affaire de carambouillage ou un trafic de stupéfiants.

Huit ou neuf ans plus tard, lorsque vint le temps des Ligues, des trafics d’armes et des complots, on pensa que tout s’arrangerait dans des aventures politiques : le désordre des fils parut alors protéger le Grand Livre des pères.

André Simon redoutait plus que tout au monde d’être méprisé par Rosenthal, avec qui il avait achevé ses études à Louis-le-Grand et qu’il admirait, comme Bernard pensait de temps en temps admirer François Régnier, mais autrement. Que de cascades d’influences, de jeux de reflets sur des glaces, dans la vie des jeunes gens qui se sentent un peu trop invertébrés encore pour marcher sans compagnons, sans confidents et sans témoins. Simon écrivit un jour dans une lettre à son père.

— Mon ami Rosenthal est peut-être le seul philosophe vivant qu’il y ait actuellement en France. On ne le sait pas et il ne doit pas le savoir non plus. Mais quand il aura publié, ou fait ses premiers cours, on se rendra compte que c’est ainsi, et qu’on a un philosophe aussi important que Bergson.

Ces élans ne se fondaient pourtant que sur quelques phrases de Bernard.

Le premier effet de cette admiration était qu’André Simon faisait son service militaire comme soldat de 2e classe : il aurait pu être sous-lieutenant, il aurait même dû l’être, s’il avait obéi aux lois sur la préparation militaire des étudiants ; Rosenthal lui avait interdit de se soumettre à ces règles contre lesquelles beaucoup de jeunes gens résistèrent violemment en vingt-sept et en vingt-huit.

— Si tu acceptes de devenir officier de réserve, disait Rosenthal, je ne te reverrai de ma vie. Nous devons demeurer