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son milieu, qu’il a pu connaître au lycée Clemenceau, dans les années où des vieillards et de jeunes femmes remplaçaient les professeurs combattants ou morts au champ d’honneur, vers l’École des Sciences Politiques et les petits secrets de la diplomatie.

Des fils d’épiciers en gros élevés au pied des tours à carillon de Sainte-Croix ont découvert aux environs de mil neuf cent vingt-cinq le golf à la Baule, le cheval à Paris et se sont engagés dans des carrières orgueilleuses mais obscures, dans les légations françaises de cette Europe de Versailles, de Saint-Germain et de Trianon où les traités aux noms de châteaux et de parcs dissimulent mal le sang et les violences futures. D’autres, faisant écho à des appels parisiens ou à des voix alsaciennes, se sont lancés les yeux fermés dans l’activité poétique. D’autres enfin, désœuvrés par la facilité de l’argent et par la dispersion de leurs camarades de lycée, ont collectionné avec une passion frivole les disques des grands jazz-hot américains, ont joué au poker, ont poursuivi des femmes mariées que l’ennui livrait aux adultères de province ; ils ont appris à découvrir dans les pharmacies louches de la ville de la cocaïne ou de l’éther et ont emprunté aux grues démodées de la place Royale et de la place Graslin des billets de cent francs qu’elles leur ont réclamés avec des insultes sur le trottoir de la rue Crébillon ou sous les arcades blanches du Passage Pommeraye qui n’a pas fini d’exposer des bretelles, des eaux-fortes, des farces-attrapes, des préservatifs, des bandages, et le modèle périmé du cuirassé Jauréguiberry. Des fils de bijoutiers finissent par cambrioler les vitrines de leur père, sans respecter les médailles de première communion, les argenteries des fiançailles, les alliances, les hochets de baptême. Des adolescents réunis derrière le quai de la Fosse ou les quais de l’île Gloriette dans des caves moisies qui doivent leur rappeler les entrepôts de Londres et les jetées littéraires de Hambourg, organisent des sociétés secrètes soumises à des rituels enfantins et aux pratiques d’un érotisme aussi démodé que les femmes entretenues de leur ville natale.

Ce désordre de la jeunesse s’installa après la paix de dix-neuf dans les grandes villes de province, à Nantes comme