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revenir en arrière et de se déjuger sans se sentir détruit. La Révolution exige de nous des actes qui soient aussi efficaces que ceux du chrétien, aussi éloignés de la vie intérieure, et qui nous compromettent assez pour que nous ne puissions jamais retourner. Ce qui me frappe dans la vie chrétienne, c’est qu’elle ne se préoccupe au fond que d’œuvres et de preuves ; les bonnes intentions sont des histoires protestantes. C’est ainsi que nous entendrons l’engagement : comme un système prémédité de contraintes rigoureuses.

L’anarchie était singulièrement favorable à ce genre d’œuvres. Lancer une bombe, tuer un important : après cela, il était vraiment impossible de continuer à vivre comme avant la bombe ou le meurtre, il n’y avait jamais plus de statu quo, les retraites étaient coupées, on était dans l’histoire jusqu’au cou, on ne pouvait que s’enfoncer depuis le moment qu’on s’était mis hors de la mesure. Mais l’anarchie a été tuée par l’histoire, par les révolutions du xxe siècle, par les masses qu’elles mettent en jeu, par la certitude où est le révolutionnaire qu’il ne parviendra pas par l’exploit terroriste à effrayer sérieusement l’ennemi. La politique dépouillée du terrorisme et de ses engagements purs pose à l’individu des problèmes d’un autre ordre dont le plus élevé est celui de l’efficacité. Il faut nous élever contre l’excès de profondeur qui escamote les questions, il faut simplement aller vers le vrai et vers l’Être qui sont simples.

C’est contre des techniques de gouvernement et de police très remarquables que se sont brisées les anciennes passions de l’anarchie. La Révolution sera technique. Le difficile, c’est d’inventer des actes qui soient à la fois utiles à la Révolution et qui constituent pour nous d’irréversibles événements. Il ne nous faut plus croire que la vérité sur le mal connue, le mal soit aboli. Il faut détruire le mal. Philosopher à coups de marteaux. Inventer des choses irréparables.

Il est clair, et tu dois le sentir comme moi, que les articles que nous avons publiés et les discours que nous ne manquerons pas de faire ne nous engagent pas, pour longtemps au moins, dangereusement. Comme il existe des ouvrages de dames, ce ne sont guère que des ouvrages de jeunes gens, qui relèvent de l’art habile et de la complaisance.