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— Vous avez bien raison, dit M. Plessis, en regardant fixement M. Lyons. Les Boches ne comprennent que la manière forte. Cette banque des Règlements internationaux et ce plan Young vont être une duperie de plus. Ils auront bien réussi à grignoter la victoire…

— Ce n’est peut-être pas si mal financièrement, dit Claude. L’occupation de la Rhénanie n’arrangeait pas toujours les affaires.

— Assez de chiffres, Messieurs, never talk shop, comme on dit de l’autre côté de la Manche, s’écria Mme Rosenthal, qui détourna avec autorité la conversation : on parla de la campagne, Mme Lyons dit que, même avec d’excellents amis, ce n’était pas tous les jours drôle, et que, quant à elle, ses petites habitudes de Paris lui manquaient cruellement, mais Mme Plessis, qui était plus jeune, et qui sentait mieux ce qu’on doit à ses hôtes, trouva que c’était magnifiquement reposant et tellement moins énervant que la mer pour les personnes qui ont le sympathique sensible.

Il n’y a point de meilleur sujet que la santé, et Mme Rosenthal expliqua leurs tempéraments à ses invités, sur quoi ils firent l’éloge des médecins, contre qui on ironise quand on est bien portant, mais qu’on est bien heureux d’appeler dès qu’on a trente-sept neuf, et ce fut le moment d’aller prendre le café et les infusions dans le petit salon et de s’élever l’âme avant d’aller dormir.

La comtesse Kamenskaia, qui était un peu courte comme beaucoup de femmes moscovites, mais dont les cheveux roux et flamboyants avaient des admirateurs, alla regarder par la porte-fenêtre ouverte sur la terrasse et s’écria qu’elle n’aimait au monde que les grandes plaines, et qu’elle adorait ce pays, parce que les morceaux de steppe à boqueteaux au commencement de la Picardie lui rappelaient les environs de Zagorsk où elle avait été élevée et le temps où elle allait voir l’abbé du couvent de la Trinité dans son petit bureau Louis XV à paravents chinois. Tous les convives connaissaient les aventures de la comtesse, à part la vie qu’elle avait réellement menée après le départ de Crimée de l’armée du baron Wrangel, mais ils éprouvaient toujours un certain plaisir à entendre quelques récits d’atrocités de la bouche de la petite comtesse qui avait un si ravissant accent.