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XIV

Comme il existe peu d’actions véritables, les accouplements, les meurtres, la construction des monuments, l’ouverture des routes, l’enlèvement d’une grande troupe, la vie qu’on aventure ! Presque tout ce qu’on fait n’est qu’un rêve. Pour Bernard, l’amour n’est peut-être que l’entrée en scène de la réalité, Catherine sa première chance, parce qu’elle est l’occasion de son premier choc, le prétexte de sa première action.

— Enfin, se dit un soir Bernard, fini de jouer ! Voici une victoire à remporter, des résistances à vaincre.

Mais tout fut trop facile. Sans doute eût-il fallu à Bernard une femme dure à conquérir, une maîtresse dont l’abandon eût été le dénouement d’un combat, une reddition : Catherine ne résista pas, c’était une femme qui savait vouloir céder…

Bernard pendant cinq jours, vécut rêveusement : il passait ses journées à tirer de ses nuits tout ce qu’elles contenaient ; il n’avait même plus besoin de la compagnie de Catherine, il la fuyait pour marcher seul, s’allonger dans un pré, écouter le bruit de volière que faisaient Mme Lyons, Mme Plessis et la comtesse Kamenskaia.

Quand tout le monde était endormi, quand il n’entendait plus sur le palier du premier étage que le petit râle nocturne de son père qui le faisait penser depuis son enfance à l’agonie et à la mort, il allait rejoindre Catherine dans sa chambre.

Il y régnait un écrasant silence, à peine ébranlé par les chuintements gémissants des oiseaux de nuit, par les pas d’un oiseau ou d’un chat sur les tuiles du toit. Par la fenêtre ouverte au-dessus des pelouses entrait parfois un insecte qui bourdonnait et se heurtait aux murs, ou une déchirure hésitante du brouillard.

Pendant cinq nuits, au sein de cette froide obscurité de velours, et de cette solitude ténébreuse des campagnes qui ne parlent aux hommes que des astres et de la mort, Bernard et Catherine partagèrent les affreux secrets du plaisir, ses oublis de soi, ses sacrifices, ses patiences, ses paresses, ses sommeils, ses soupirs de combattants complices dans un