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lisses, sa robe jusqu’aux chevilles, personne n’aurait songé à lui manquer de respect. Elle avait envie de parler, le bavardage était pour elle l’un des derniers échos du plaisir. Elle lut les titres des livres qui traînaient partout, Laforgue venait de terminer une année grecque, les livres étaient austères, il y avait sur sa table le Politique, l’Éthique à Nicomaque et le Commentaire de Simplicius. Pauline se rassit sur le divan. Sa robe découvrait les grandes plages de soie de ses bas ; elle regardait Philippe avec un sourire à tuer qui voulait en dire long.

— En voilà assez pour aujourd’hui, pensa Laforgue. Nous ne sommes pas complices pour si peu.

— Comme cela doit être passionnant, toute cette sagesse grecque ! s’écria-t-elle.

— À qui le dites-vous, répondit Laforgue.

— Tellement plus qu’une femme comme moi, n’est-ce pas, soupira Pauline. Une femme sans importance…

— Aucune comparaison, dit Philippe, qui se dit : elle minaude, c’est un comble. Mais vous me faites penser que j’étais en train de travailler quand vous êtes venue. J’étais dans un de mes bons jours, figurez-vous…

— Ce qui doit signifier, répondit Pauline, que je pourrais peut-être vous débarrasser maintenant de ma présence.

Laforgue haussa légèrement les épaules, mais Pauline sourit : c’était fini, elle était rhabillée, elle savait qu’elle ne pouvait exiger des hommes une reconnaissance passionnée pour ce qu’elle leur donnait.

Laforgue l’accompagna jusqu’à la porte de la rue d’Ulm, elle s’éloigna vers la grille et la loge du portier.

— On est vraiment trop poli, pensait-il. Cette fois-ci, j’aurais dû coucher avec cette fille.

Bloyé arriva au pied des marches du porche, il revenait du jardin. Laforgue lui dit, un peu haut ;

— Bloyé, tu vois cette dame ? Eh bien, elle ne couche pas.

Pauline se retourna et jeta vers eux un regard de colère. Laforgue se dit en rougissant que l’insulte ne l’empêcherait pas de revenir, qu’elle n’était pas si fière, et il rentra se laver les mains.


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