Page:Europe, revue mensuelle, No 171, 1937-03-15.djvu/28

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Et mes livres, ma pensée, moi, ah ! quelle moquerie ! Et ce carnet entre quelles mains amies ou indifférentes tombera-t-il ? Oh ! tout est perdu, et il n’importe. Fatalité. Ce n’est pas, il s’en faut, dans mon cœur, de là résignation. Pour moi-même, je ne désarme pas, je ne renonce pas. Toutefois, à partir d’un certain point, ma vie dépend plus de moi-même. Par le silence, le recueillement, offre-t-on moins de prise à l’orage ? Ou par l’action ? En moi, quel désir de solitude et de silence ! Les trouverai-je ? Je le souhaite. Dès mon retour en France, si, avant ce retour…

Dans quelques semaines je lirai peut-être ces pages, à l’abri dans un village, au bord de la mer, ou à Paris. Je n’en sourirai point, si elles ne valent pas pour cette année, du moins pour l’année suivante. Puisque le malheur qui nous menace est inéluctable. La guerre. Avec elle, la nuit, la laideur, la mort. J’aurais voulu vivre, et longtemps. J’aime la vie, j’aime chanter la vie, ses joies comme ses tristesses. Dans quelques semaines j’aurai trente-huit ans, je commence à prendre pleine conscience de moi-même, de mes possibilités, de mes forces. C’est maintenant, pour vingt ans, que je commencerai pleinement à être. Mais ces vingt années, que je pourrais espérer vivre, que j’ai le droit de vivre, puisque le destin m’a accordé la vie, ces vingt années, les hommes me les accorderont-ils ?

Ma réponse est : je doute qu’ils me les accordent. Ou année par année, comme ce fut depuis 1920. J’en reviens à ne vivre que dans le présent, mais à certaines heures cela devient même impossible, le présent est aussi noir et bouché que l’avenir.

… C’est à soi-même qu’on doit adresser ses prières. Garder les yeux ouverts sur le monde, posséder et jouir. Mais aussi, oh ! combien, se replier, se recueillir.

… Je voudrais, d’un bond, être transporté en France, retrouver mes parents, revoir B… Tout ce beau passé,